Dans les régions où le vin est roi, le mois de mai n’est pas seulement un festival de fleurs et de bourgeons, mais aussi une période redoutée. Pourquoi ? Eh bien à cause des Saints de Glace. Cette vieille coutume enracinée depuis l’Antiquité, se perpétue pour protéger les vignes des caprices météorologiques.
La signification
Les Saints de Glace représentent une période redoutée de l’année lors des premiers jours du printemps. Traditionnellement, ces journées sont associées à la possibilité de températures plus basses susceptibles d’endommager les cultures, en particulier celles particulièrement sensibles au gel comme les vignes. Pour faire face à cette menace, les viticulteurs prennent souvent des précautions supplémentaires pour protéger leurs récoltes durant cette période critique. Mais cette « croyance » est bien plus ancienne qu’il n’y parait.
L’origine
Les Saints de Glace, observés les 11, 12 et 13 mai, ont des origines profondément ancrées dans l’histoire de la Rome antique. À l’origine, ces dates étaient marquées par les célébrations en l’honneur de la déesse Flora, protectrice de la floraison des céréales et des arbres fruitiers, symbolisant ainsi l’avènement du printemps et le début des travaux agricoles.
Par la suite, les festivités printanières étaient souvent associées à des rituels religieux par les agriculteurs. Ces célébrations rendaient hommage aux divinités romaines de l’agriculture, telles que Cérès, déesse des moissons, et Bacchus, dieu du vin, symbolisant ainsi la fertilité de la terre et l’abondance des récoltes.
Plus tard, avec l’expansion du christianisme en Europe, ces rites ont cédé la place à la vénération de trois saints catholiques : Saint Mamert de Vienne, Saint Pancrace de Rome et Saint Servais de Tongres. Ils ont été désignés comme les protecteurs des cultures contre les dernières incursions de l’hiver.
Les gelées tardives
Les nuits gélives de mai sont souvent le résultat de caprices météorologiques printaniers. En effet, dans la première quinzaine de mai, il n’est pas rare d’observer des descentes d’air froid sur la France. Lorsque ces périodes coïncident avec des conditions anticycloniques, les températures nocturnes peuvent chuter brusquement, entraînant des gelées. Ce phénomène est d’autant plus surprenant que les journées peuvent sembler douces grâce à l’ensoleillement et le ciel particulièrement dégagé, notamment la nuit.
Certes, la vigne est une plante résistante, mais ces périodes coïncident souvent avec les premiers signes de réchauffement climatique et de floraison des plantes. À ce stade crucial, une fois que les fleurs ou les feuilles sont apparues, la vigne devient très fragile, et les conséquences peuvent être désastreuses.
En 2022, au Château d’Eyran, les gelées ont été particulièrement sévères, atteignant parfois jusqu’à -9°C. Cette situation met en évidence la vulnérabilité des cultures même durant les mois de transition entre le printemps et l’été.
Les Saints de Glace agissent ainsi comme un repère symbolique pour les agriculteurs et les jardiniers, les incitant à protéger leurs récoltes contre ces conditions météorologiques hostiles et malgré tout rémanentes.
L’évolution climatique
Avec le réchauffement climatique, les données météorologiques révèlent une tendance à la hausse des températures et à une diminution des gelées annuelles, mais ces dernières restent toujours redoutées et potentiellement destructrices.
Cette évolution pourrait potentiellement affecter à long terme la tradition des Saints de Glace (ce qui ne serait pas nécessairement une mauvaise chose). Malgré la rareté croissante des gelées tardives, les viticulteurs demeurent vigilants, conscients que la nature peut toujours réserver des surprises. Ainsi, la période des Saints de Glace conserve son importance dans le calendrier agricole, symbolisant la transition délicate entre le printemps et l’été.
La protection des cultures
Autrefois, les gens invoquaient l’intercession des Saints pour écarter les gelées tardives. Ils mettaient en œuvre diverses mesures, telles que l’aspersion d’eau pour former une couche protectrice de glace autour des bourgeons ou le brassage d’air chaud pour contrer les températures glaciales. Ces pratiques traditionnelles perdurent , comme en témoigne l’utilisation de ces mêmes techniques encore de nos jours au Château d’Eyran lors des périodes de gel.
Même si la connotation religieuse a perdu de son importance, la période des Saints de Glace demeure un repère crucial pour les viticulteurs, qui scrutent attentivement les prévisions météorologiques et prennent des mesures préventives pour protéger leurs vignes et sauver leurs récoltes.
En conclusion
Les Saints de Glace ne se limitent pas à une simple superstition ancienne, mais représentent une tradition profondément enracinée dans l’histoire agricole européenne. Pour les viticulteurs, ils symbolisent la vulnérabilité des cultures face aux aléas météorologiques et soulignent l’importance de demeurer vigilants, même lorsque la nature semble de notre côté. Alors que les Saints patrons veillent sur les vignes, les hommes et les femmes qui travaillent la terre perpétuent cette tradition, unissant ainsi passé et présent dans un même élan de protection et de respect envers la nature.